J’ATTENDS

Le temps… Tant de temps… Comme c’est tentant…

Tentant, oui mais… encore faut-il savoir qu’en faire…

Comment le remplir… Mais… faut-il le remplir… ?

Avec le temps, ce truc impalpable, inodore, invisible qui vous nargue durant toute votre vie, j’ai à peu près tout essayé, j’ai essayé de le remplir au maximum, histoire de ne pas perdre une seule seconde, puisque le temps c’est de l’argent, m’a-t-on dit, j’ai mis le paquet… Et puis la vie, donc quelque part le temps appartient à ceux qui se lèvent tôt… Donc, de nature organisée et responsable, je me suis mise à me remuer, à m’agiter dans tous les sens de l’aurore jusqu’à tard dans la soirée, pour faire comme tout le monde, pour avoir l’air fun. Etre surbookée c’est à la mode de nos jours, ça en jette… ! Quand tu dis « oh non cette semaine, je ne peux pas, je suis over bookée », là,  tu assures un max ! ça fait sérieux, femme moderne, libérée, responsable qui gère, qui assure, même si tu n’assures rien du tout… et que tu t’y perds dans tout ce temps que tu malaxes dans tous les sens…

Mais après quelques années à ce rythme là, n’y a pas de miracle, je me suis essoufflées, j’ai fini par perdre pied, j’en ai même perdu mon latin à avoir peur de perdre du temps… La peur du vide sans doute. Quand je cours, je ne me pose pas de question, je cours… Mais à vouloir forcer le temps, j’ai fini par me choper une petite grippe par-ci, par-là, ou une petite irruption cutanée, une angine, ou encore un gros rhume, bref une saloperie qui ralentit, puisque je ne voulais pas voir qu’en fin de compte, je perdais surtout mon bien-être, ma santé, mon équilibre…

Alors, un jour complètement asséchée, vidée, essorée par mes diverses activités plus ou moins lucratives et une fois que l’on m’avait bien extirpée la moindre petite énergie, voilà que je me retrouvais de l’autre côté de la barrière des « pros des gestionnaires et voleurs du temps ».

Je n’en foutais quasiment plus une… Enfin, je veux dire, je n’avais plus d’activité extra familiale… Je me retrouvais avec un stock de temps à ne plus savoir qu’en faire… chose dont j’avais complètement perdue l’habitude depuis longtemps… Au début, ce fut un peu angoissant, c’était même, avouant-le, paniquant ! De quoi avais-je l’air vis-à-vis des autres quand je disais que j’avais du temps… ? D’une fainiasse ? D’une incapable ? D’une fauchée ?

Cela dénotait complètement avec la vie moderne de notre société bien pensante.

Et bien, figurez-vous qu’avec le temps, j’ai commencé à y prendre goût… mais alors je me suis mise à me poser des questions, à m’interroger… Finalement, c’était plutôt plaisant comme situation, je pouvais enfin me la couler douce, avoir un rythme humain, respirer, souffler…

Un peu décalée face aux autres, certes, je me suis mise à observer la cadence qu’avaient les gens autours de moi, à les regarder cavaler comme je le faisais auparavant… Et… si finalement c’était eux qui avaient tord et moi qui avais raison… ?! Mais était-ce là seulement une question de juste ou de faux… ?

Les années passèrent encore et avec tout ce temps sur les bras, je finis même par m’ennuyer, par me lasser… Si je pouvais stocker tout ce temps comme faisaient nos grands-parents avec leurs réserves de guerre du temps des vaches maigres, à l’heure actuelle, je serais millionnaire… Mais évidemment cela parait complètement utopique… Ou alors était-il possible que je reprenne ce stock non utilisé pour repartir sur les chapeaux de roues et ainsi agrandir les journées… Non encore une idée farfelue… Décidément ce temps, n’en fait qu’à sa tête et moi je n’en suis qu’une victime de plus, il se joue de moi… Comment lui tordre le coup, lui faire sa fête ou mieux encore lui faire perdre son temps à ce temps… ?!

Alors résignée après tout ce remue-ménage, je me suis dit tant pis ! Dorénavant je vais prendre mon temps, même si cela demande d’attendre… et on verra bien ensuite ce que le temps en pense…

Car s’il y a bien une chose dont je suis à peu près sûre, c’est que tout est mouvement… Le temps finira bien par s’impatienter lui aussi…

 

 

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